Préparation du riz. Laver Tremper Cuire à la vapeur
Cette première manœuvre conditionne tout le millésime. Le lavage élimine la poussière de son. Le trempage est minuté pour que chaque grain absorbe une quantité d’eau précise, jusqu’à la seconde dans les brasseries les plus exigeantes. La cuisson se fait à la vapeur, jamais à l’eau bouillante, afin de fixer une texture qui orientera la suite. L’extérieur doit tenir en cuve, le centre doit s’offrir aux enzymes et aux levures. Les plus petits écarts se ressentent jusqu’au verre.
Fabrication du kōji. Le moteur enzymatique
Le riz cuit à la vapeur est ensemencé avec Aspergillus oryzae puis soigneusement conduit pendant environ quarante huit heures dans une pièce chaude et humide. Les brasseurs mélangent, rassemblent et aèrent le riz pour une pousse régulière. Le kōji transforme l’amidon en sucre, nourriture des levures. Si le vin naît du jus de raisin et des levures, le saké naît d’un amidon d’abord converti en sucre puis fermenté. Le kōji est la charnière qui fait chanter cette chimie.
Pied de cuve. Shubo. Élever la culture
Dans une petite cuve, on réunit eau, riz au kōji, riz cuit simple et levures pour bâtir une population forte et stable. Une acidité protectrice écarte les microbes sauvages. En méthode classique, kimoto ou yamahai, cette acidité se construit lentement et donne souvent des profils plus amples et plus libres. En sokujo, elle est apportée au départ et produit un style plus net et plus tendu.
Moromi. La cuve principale. Trois étapes vers la maîtrise
Une fois le pied de cuve prêt, on procède à trois ajouts successifs appelés sandanjikomi. Cette montée en charge échelonnée maintient l’équilibre des sucres, de la température et de l’alcool, tandis que deux processus avancent en parallèle. L’amidon continue de devenir sucre, et ce sucre devient alcool. Des fermentations plus fraîches et plus longues visent des notes parfumées de type ginjo. Des températures un peu plus hautes favorisent des profils plus ronds, centrés sur le riz. Comptez quelques semaines paisibles en cuve.
Pressurage. Séparer le liquide du marc
Quand la fermentation a fait son œuvre, on sépare le saké des lies, le kasu. La méthode façonne le style. Les presses à membrane modernes sont efficaces et propres. La presse en caisse, fune, est plus douce. Le shizuku, égouttage par gravité, donne une matière soyeuse. Un même pressurage a ses chapitres. Arabashiri est le premier jus vif. Nakadori ou nakagumi désigne la coupe centrale recherchée. Seme constitue la fin plus ferme.
Clarification et filtration au charbon en option. Ajuster la tonalité
La clarification apporte de la limpidité et permet de petites retouches de profil. Le charbon actif peut retirer de la couleur et certaines notes. Si l’on s’en passe, on obtient un muroka, souvent plus expressif et plus texturé. Pas de dogme ici, seulement la griffe de la maison.
Pasteurisation. Hi ire. Stabiliser
Un passage doux à la chaleur calme les enzymes et les micro organismes résiduels. La plupart des sakés subissent deux traitements, après le pressurage puis avant la mise en bouteille. Il existe des versions à un seul passage, namachōzō ou namazume, tandis que le namazake non pasteurisé livre une énergie électrique et exige une chaîne du froid stricte.
Ajout d’eau. Kasui = Régler le degré
La force en cuve tourne souvent autour de dix huit à vingt pour cent d’alcool. L’ajout d’eau de brassage ramène le degré à un niveau intermédiaire, là où l’équilibre se met en place. Si l’étiquette porte genshu, c’est non réduit, plus ample, plus chaud, plus puissant.
Maturation et stockage. Laisser se lier
Le repos en cuve ou en bouteille adoucit les angles et harmonise les saveurs. Certaines maisons expédient jeunes pour garder du nerf. D’autres conservent au frais pendant des mois. Quelques unes font vieillir des années en koshu, qui prend une teinte ambrée, des accents de fruits secs et une complexité profonde. Les classements ont de quoi fasciner, mais derrière chaque mot net sur une étiquette se déroule toute cette suite de décisions, chacune audible dans le verre pour qui veut écouter.
Comment le saké est fabriqué
Ce que signifie vraiment le polissage
Quand on pense au saké, on imagine souvent un petit service en céramique, parfois fumant doucement dans un bar à sushis, à côté d’une assiette de tempura. C’est familier, presque réconfortant. On ignore pourtant que cette boisson pluriséculaire possède sa propre échelle de prestige, aussi fine qu’un système d’appellations en France ou qu’une classification de whiskies écossais. Au centre se trouve un chiffre discret, le seimai buai, le taux de polissage du riz.
Polir n’a ici rien d’un éclat brillant. Pas de lustrage ni d’effet miroir. Il s’agit de soustraction. Imaginez un grain de riz complet. Les couches externes concentrent protéines et lipides, le cœur est presque uniquement amidon. Une mention « 50 % » indique que la moitié du grain a été meulée. Reste le cœur pâle et riche en amidon. Plus le chiffre est bas, plus on retire d’enveloppe. Les aspérités s’effacent, la touche terrienne recule. Le résultat devient plus léger, plus transparent, souvent plus aromatique. Parfois le nez est si floral que l’on croirait un blanc de Bourgogne plutôt qu’une boisson issue de riz et d’eau.
Ce ratio silencieux est une clé de l’alchimie du saké. Il montre comment riz et eau, deux ingrédients simples, peuvent donner naissance à quelque chose qui partage la scène avec les vins les plus élégants. L’art consiste à savoir lire ces chiffres.
Huit nuances de saké
Le monde du saké se répartit en huit grands styles. Tout dépend de trois leviers. Jusqu’où l’on polit le riz. Si le brasseur ajoute une touche d’alcool distillé. Le profil gustatif qui découle de ces choix. Imaginez une échelle. En bas, des sakés du quotidien, plus rustiques. Tout en haut, des liquides cristallins, aériens, d’une grande précision.
Au sommet du style (Junmai Daiginjo)
Voici le joyau de la couronne. Le riz est poli à 50 pour cent ou moins, ce qui signifie que plus de la moitié de chaque grain a été enlevée. Sa production demande de la patience, de l’argent et un soin presque obsessionnel. Rien n’est ajouté en dehors du riz, de l’eau et du kōji. Aucun raccourci.
Le résultat est un parfum vibrant mais maîtrisé et une bouche qui se déploie comme des draps de soie que l’on soulève un à un. C’est la bouteille que l’on apporte à un mariage ou que l’on ouvre pour marquer un moment qui compte.
Équilibre et polyvalence (Junmai Ginjo)
À 60 pour cent ou moins, le Junmai Ginjo occupe un échelon plus doux de l’échelle. Il équilibre la douceur délicate du riz avec le bouquet lumineux issu de la fermentation de type ginjo. Élégant et flexible, il s’accorde aussi bien avec des sashimis qu’avec des pâtes italiennes ou une bourride à la française. En ajoutant une touche d’alcool distillé, on obtient un Ginjo plus léger et plus net, un peu plus rafraîchissant, le genre de saké qui tranche avec finesse une soirée d’été.
Aromatique et aérien (Daiginjo)
Le Daiginjo se tient tout près du Junmai Daiginjo avec une nuance. Un léger ajout d’alcool distillé soulève les arômes, donne au breuvage une sensation de flottement et rend chaque gorgée presque impalpable. Il demeure un luxe, mais un luxe qui vous accueille d’un clin d’œil plutôt que d’une révérence. Il se verse naturellement aux côtés d’huîtres comme d’un amuse-bouche inventif.
Pourquoi Junmai Ginjo et Daiginjo comptent
Tous deux relèvent du tokutei meishō shu, la famille des sakés à appellation spéciale. Leur point commun tient à un taux de polissage faible. Rappelons le principe, plus le chiffre est petit, plus on a retiré de matière. En ôtant protéines et lipides des couches externes, on obtient quelque chose de plus pur, de plus clair, de plus lumineux. Un saké qui brille dans le verre et s’exprime sur un registre plus fin.
Le saké paraît simple sur le papier. Il ne mobilise que trois ingrédients, le riz, l’eau et le kōji, et pourtant aucune brasserie ne le façonne exactement de la même manière. Le moindre geste supplémentaire peut révéler une nuance de goût délicate. Choisir une bouteille, c’est un peu comme avancer sur la pointe des pieds dans une bibliothèque où toutes les couvertures sont blanches, et où chaque livre raconte une histoire différente dès qu’on l’ouvre.
Pour mettre un peu d’ordre dans cette diversité, on classe le saké selon la part du grain qui a été polie. Le *seimai buai*, le taux de polissage, indique le pourcentage restant du grain. Si vous lisez 60 pour cent, cela signifie que 40 pour cent ont été meulés. Le *seihaku ritsu*, le taux d’ébarbage, renverse la perspective : 60 pour cent veut dire que 60 pour cent ont été retirés et qu’il ne reste que 40 pour cent. Le saké à fort polissage, longtemps signe de prestige, réduit le grain jusqu’à son cœur amidonné et produit souvent un style aérien et parfumé. Les goûts évoluent. Les sakés à faible polissage, qui conservent davantage de matière, connaissent aujourd’hui leur moment. Certaines brasseries vont jusqu’à travailler le riz complet non poli, un choix à la fois frondeur et d’allure ancienne.
Le polissage ne raconte jamais toute l’histoire. Chaque maison protège ses façons de faire, surtout dans la conduite du kōji. Ces minuscules spores verdâtres (*Aspergillus oryzae*) sont les vrais alchimistes : ils transforment l’amidon en sucre et préparent le terrain pour le travail des levures. Le style de fabrication du kōji repose sur des courbes de température, une maîtrise de l’humidité et la fréquence des remuages, et ces choix peuvent faire pencher un saké…
Il existe un autre volet que les étiquettes évoquent rarement : la manière dont se compose l’apport nutritionnel du saké. À la différence du vin ou de la bière, il apporte un bouquet d’acides aminés et d’acides organiques issus d’une fermentation portée par le kōji. Un surcroît d’acides aminés pourrait offrir de modestes bénéfices pour le métabolisme et la récupération de la fatigue. L’acide férulique et d’autres composés antioxydants laissent entrevoir une certaine protection face aux maux liés au mode de vie.
Le saké de riz brun va plus loin, car les couches externes renferment des vitamines B, des minéraux, des fibres et des polyphénols qui peuvent survivre au brassage. Voyez-y un saké à l’accent « céréales complètes » : plus rustique en bouche, plus terrien au nez, un peu plus audacieux aussi dans ses promesses santé. Le saké de riz blanc peut, lui, être plus facile à digérer et se boit souvent avec une ligne plus souple. Des corps différents, des humeurs différentes, à chacun son accord.
Si tout ce polissage vous semble gaspilleur, sachez que la montagne de son de riz ne finit pas à la poubelle. Elle est revalorisée en crackers, gâteaux, nouilles et farines sans gluten qui se glissent dans pains et pâtisseries. Ce qui n’atterrit pas dans votre verre peut encore se retrouver dans votre assiette. La prochaine fois que vous servez une coupe, souvenez-vous qu’un monde de décisions invisibles se cache derrière ce liquide limpide, quand remuer, combien enlever, s’orienter vers la finesse ou assumer la franchise. Le saké repose sur trois ingrédients, mais il se définit par des choix, et c’est bien ce qui rend la quête de la bonne bouteille si plaisante.