Le raisin miracle nommé Maeve

De Hokkaido à −30 °C jusqu’à Okinawa à plus de 30 °C, une nouvelle variété unique au monde réécrit l’avenir du vin japonais !
Maeva Roof

Un vignoble sur un toit

Quand on pense aux vignobles, on imagine des coteaux et des terrasses baignées de soleil. À Fujisawa, ville côtière près de Tokyo, des raisins de cuve prospèrent pourtant sur le toit d’un immeuble de bureaux. Une révolution discrète est en cours : la vinification urbaine au Japon. Au centre de cette histoire, un raisin au nom presque mythique : Maeve.

Une découverte accidentelle

Maeve a été repéré en 2019. Les tests ADN ont montré qu’il n’était pas seulement rare, mais totalement nouveau, sans aucun équivalent dans les bases de données mondiales. Des chercheurs de l’Okinawa Institute of Science and Technology ont ensuite confirmé qu’il s’agissait d’une variété unique au monde.

La nouveauté n’est qu’un début. Maeve se cultive sans pesticides et se révèle d’une robustesse étonnante. Il survit aux hivers à moins 30 °C d’Hokkaidō comme à la chaleur tropicale d’Okinawa, tout en donnant des fruits dans les deux cas. Dans un monde qui se réchauffe, cette résilience ressemble moins à un coup de chance qu’à un signe des temps.

Des satellites aux vignes

Maeve n’a pas été découverte par un vigneron. Toshitada Tanaka, ingénieur en satellites et dirigeant d’une entreprise informatique, a rencontré Maeve lorsqu’il a repris le vignoble d’un vieil homme de Fujisawa qui se retirait de l’agriculture. Tanaka ne savait même pas de quel cépage était planté le vignoble qu’il avait acquis.

Les “super-pouvoirs” de Maeve

Maeve est cultivé sans pesticides depuis plus de vingt ans. Les travaux génomiques suggèrent un croisement entre Riparia Gloire, un porte-greffe nord-américain résistant aux maladies, et Vitis vinifera, la lignée européenne à l’origine du cabernet et du chardonnay. À Okinawa, les sarments peuvent pousser jusqu’à six mètres en un an, au point de laisser envisager deux vendanges par saison.

Cultiver pour l’avenir

Comme il ne nécessite pas de produits chimiques, Maeve favorise l’implication de la communauté. Des étudiants viennent déjà faire du bénévolat dans les vignes, et des associations explorent des projets où des enfants et des personnes en situation de handicap participent à la vinification. L’idée est que le vin ne soit pas seulement un produit de luxe, mais aussi un outil d’inclusion.

Des Ryūkyū à Ginza

L’extension est lancée. À Nakijin, à Okinawa, on prépare un « Ryukyu Wine », tandis que des toits des quartiers de Marunouchi et Ginza, à Tokyo, sont plantés en Maeve. À Odawara, 700 pieds ont été installés près du château d’« une nuit » pour un vin local, et des pêcheurs de Chiba travaillent à des assemblages pensés pour les produits de la mer. Chaque projet relie le vin non seulement au terroir, mais aussi à l’identité de la communauté.

Pourquoi les vins locaux vont avec les plats locaux

Maeve illustre une vieille vérité : les vins s’accordent naturellement avec les mets du même lieu. Les climats côtiers donnent des blancs vifs qui accompagnent les fruits de mer ; les régions chaudes de l’intérieur produisent des rouges tanniques qui répondent aux viandes comme le bœuf ou l’agneau. La science est simple : l’acidité nettoie le gras, les tanins se lient aux protéines. La tradition va plus loin : cuisines et vins d’un territoire ont évolué côte à côte jusqu’à s’ajuster parfaitement.

Inox, fabriqué à Shōnan

La société de Tanaka, Shonan Co., fabrique aussi avec des ateliers locaux les premiers cuves à vin en acier inoxydable produites au Japon. Jusqu’ici, les caves dépendaient des importations, un pari risqué quand la fermentation n’attend pas. L’inox s’impose dans les chais modernes pour la maîtrise précise des températures, l’hygiène et la souplesse d’usage. Pour Tanaka, produire localement est à la fois pratique et philosophique : « Si les raisins sont japonais, les cuves devraient l’être aussi. »

Vers un “troisième” vin japonais

Aujourd’hui, les cépages emblématiques du Japon sont le kōshū et le muscat bailey A. Maeve pourrait bientôt se tenir à leurs côtés comme troisième pilier. Rustique, sans produits chimiques et polyvalent, il apporte un espoir à un monde du vin confronté au climat.

Tanaka, autrefois ingénieur des satellites, soigne désormais ses vignes avec la même précision. « On dirait que la nature nous a remis un billet pour l’avenir », dit-il.

Peut-être que Maeve ne transformera pas seulement le vin japonais. Il pourrait aussi aider à préserver l’avenir du vin partout.

https://shonan-wine.com/

Ces temps-ci, faire du vin en France ressemble à un lancer de dés. Certaines années, le gel arrive tard, au moment où les bourgeons sont tendres. D’autres, des orages détrempent les vignes juste avant les vendanges. Le long de la Méditerranée, c’est la chaleur et la sécheresse ; au nord et sur l’Atlantique, une pluie sans fin et la pourriture. Chaque saison apporte son lot d’ennuis : trop chaud, trop humide, trop sec, trop froid. Parfois la grêle, parfois le mildiou. Une année sans problème ? Plus personne ne se souvient de la dernière. (En 2024, la production française a reculé fortement sous l’effet d’un printemps pluvieux, d’un été humide et d’épisodes de mildiou, avec des baisses marquées du Bordelais à l’Alsace, selon Agreste et l’OIV. )

Les vignerons attendent un cépage sauveur, capable de ne pas broncher face aux extrêmes. Un candidat existe : Maeve. S’il supporte la neige d’Hokkaidō et l’air tropical d’Okinawa, on peut imaginer qu’il affronte aussi Bordeaux, la Bourgogne ou la Champagne. Croisé avec des vignes françaises, il pourrait peut-être conserver le goût et le parfum auxquels les Français tiennent, tout en offrant des récoltes régulières. C’est une hypothèse, mais elle mérite d’être testée sur le terrain.

Son histoire se lit presque comme un roman. Elle n’a pas été mise au jour dans un grand domaine de Bourgogne ni dans un laboratoire de Montpellier. Elle a surgi dans la vigne d’un homme âgé à Fujisawa, au Japon. Celui qui l’a remarquée le premier n’était même pas vigneron : il construisait des satellites et dirigeait une entreprise informatique. Le propriétaire, proche de la retraite, lui a cédé le vignoble ; il a ensuite envoyé un cep en analyse ADN pour identifier le cépage. Le laboratoire n’a trouvé aucune correspondance. Un véritable original. À proprement parler, un miracle.

Il y a là une forme de symétrie. En France, on utilise déjà les données satellitaires pour suivre la vigueur des parcelles et l’état hydrique des vignes — c’est la viticulture de précision, où les images Sentinel-2 sont devenues un outil courant. Qu’un ancien ingénieur satellite ait mis au jour un cépage inédit n’a donc rien d’incongru ; c’est le genre de coïncidence qui fait sourire.

Côté science, où en est-on ? Des équipes dans le monde entier tentent de créer des cépages plus résistants au nouveau climat. Maeve, lui, existait déjà, poussant discrètement dans une petite vigne. Des analyses génomiques récentes (prépublication 2025) suggèrent une hybridation interspécifique entre une lignée Vitis vinifera non identifiée et un parent résistant (type V. riparia/porte-greffe nord-américain), ce qui cadre avec les observations de terrain : culture sans pesticides depuis des années et croissance très vigoureuse à Okinawa, parfois jusqu’à six mètres par an. Ces résultats demandent encore des confirmations par examen par les pairs et par des essais multi-sites en Europe, mais ils étayent la promesse agronomique du cépage.

En somme, Maeve ne règle pas à lui seul les défis du vignoble français ; son aptitude réelle à Bordeaux, en Bourgogne ou en Champagne reste à démontrer par des plantations d’essai, des évaluations qualitatives et des vinifications comparatives. Mais il rappelle une chose : les plantes réservent parfois des surprises. Contre toute attente, elles mettent entre nos mains un atout. Et c’est aussi cela qui rend ce métier passionnant.

parisrobot back transparent

Parisrobot Talks

Table des matières