La nouvelle adresse vintage de Paris où l’on peut « porter » les films
Fin juin 2025, au bas des pentes de Montmartre, dans le 9e, une petite boutique a ouvert avec la discrète intensité d’une avant-première. Elle s’appelle La Loge. Paris ne manque pas de vintage, mais ici il y a un contrepoint net : chaque vêtement a travaillé sur un plateau. Les portants n’abritent ni robes de grenier ni vestes d’héritage.
On y trouve un chemisier passé en gros plan autour du visage d’une actrice, le genre de jean qu’on est sûr d’avoir vu filer sur les pavés dans une série française. Ce ne sont pas de simples habits. Ce sont des costumes rendus à la vie civile.
La Loge est née de deux professionnelles aguerries du cinéma français : la styliste-costumière Mélody Colange et la productrice Sarah Gerin. Pendant des années, elles ont vu les entrepôts enfler après chaque fin de tournage. Certaines pièces n’avaient été portées qu’une fois, d’autres jamais sorties de leur plastique. La continuité exigeait des doublons, la nouveauté appelait toujours la suite, et, au bout du compte, s’accumulait un stock silencieux à la fois inévitable et gaspilleur. Leur réponse fut modeste et humaine : rendre ces vêtements à la rue, non plus comme accessoires, mais comme mode.
L’espace pousse l’idée jusqu’au bout. Des rideaux de velours rouge encadrent les murs. De vieux fauteuils de cinéma, sauvés de l’Élysée-Lincoln près des Champs-Élysées, jalonnent le sol comme des figurants attendant leur réplique. Les cabines s’illuminent d’ampoules de loge qui flattent même sous un ciel gris. L’effet est moitié boutique, moitié plateau ; autrement dit, entièrement immersif. On enfile un blazer et l’on sent la posture se redresser, comme si un premier assistant allait frapper pour vous appeler sur le set.
Des vêtements avec crédits
Chaque pièce conserve sa trace papier. L’étiquette indique le titre, le personnage et parfois la scène. Un simple jean à soixante euros s’avère avoir appartenu à Plume, interprétée par Anne Marivin dans une série française à succès. Le denim cesse d’être seulement coton et coupe. Il devient mémoire cousue dans la couture. Sarah le résume bien : on n’achète pas seulement un manteau, on achète la vie qu’il a menée.
Le stock compose un collage des écrans de la ville. Un tee-shirt pratique venu d’un film d’action ensuite mis en ligne sur une plateforme. Une robe fluide sortie d’un thriller d’ambiance. Et quelques reliques publicitaires : un costume qui a vendu une bouteille d’eau pétillante, un chapeau gai vu dans une pub de fast-food. Les prix commencent sous les dix euros pour un basique de grande enseigne et montent jusqu’à environ cent soixante-dix pour une chemise de créateur conçue pour un long-métrage. À l’occasion, un costume tout neuf se glisse sur la tringle, commandé pour un tournage puis jamais utilisé : un secret qui n’a pas passé le montage final.
Les avant-premières du mercredi
En France, les films sortent le mercredi. La Loge suit ce tempo. Chaque semaine, à l’arrivée des nouveautés en salle, des costumes issus de ces productions débarquent en boutique. L’idée est simple et un peu grisante : on sort d’une séance de l’après-midi, on marche quelques rues, et l’on enfile la tenue qu’on vient de voir à l’écran. Les pièces partent vite. Quand c’est vendu, c’est fini.
Mode et empreinte, avec un peu de poussière d’étoiles
La Loge n’est pas un gadget. C’est une petite réponse élégante au gaspillage. Depuis 2024, les productions aidées sur fonds publics déclarent leur empreinte carbone, ce qui pousse les studios à comptabiliser ce qu’ils négligeaient. Les costumes sont un bon point de départ. Maintenir les vêtements en circulation réduit l’empreinte sans atténuer l’enchantement qui attire vers les œuvres.
Les fondatrices soignent l’éthique autant que les tissus. Les costumes n’apparaissent qu’après la sortie du film ou de la série. Les étiquettes mentionnent le personnage, pas l’acteur : un geste discret qui respecte la vie privée tout en préservant l’histoire. Le résultat sonne juste. Anonyme, mais chargé de passé. Intime, et pourtant partagé.
Au-delà des tailles standards
Il existe, inévitablement, une contrainte. Les garde-robes de tournage se concentrent souvent sur un éventail étroit, surtout du côté des tailles féminines. Mélody refuse de faire de la boutique un club à petite porte. Elle compose un portant parallèle, la « Mélococo Selection », ses trouvailles vintage choisies avec un œil de styliste pour la ligne et l’humeur. Ces pièces n’ont pas été portées à l’écran, mais elles gardent le même sens du personnage et élargissent le cercle à plus de morphologies et de façons d’être.
Un phénomène qui prend
L’adresse s’est transmise vite par le bouche-à-oreille. Les habitants passent sur leur pause déjeuner. Les touristes bifurquent en redescendant de Montmartre. Les cinéphiles arrivent en mission. Une cliente est venue chercher uniquement le tee-shirt porté par Jonathan Cohen dans une comédie d’action, et elle est repartie rayonnante. Les réseaux aident, bien sûr : courtes vidéos de rideaux rouges, de cartons d’étiquettes, d’arrivages hebdomadaires. Mais l’atmosphère en magasin reste chaleureuse et sans chichis. L’équipe vous raconte la scène qu’une veste a traversée, puis vous laisse décider si elle est pour vous.
L’ambition regarde déjà au-delà. Des visiteurs demandent des blousons d’une certaine saga de vampires, des robes d’un soap suburbain d’une autre époque. Un futur lien avec une série qui a fait de Paris une carte postale serait presque trop évident, raison de plus pour que cela puisse arriver. Plus concrètement, un rayon enfants est prévu à l’automne : pourquoi seuls les adultes auraient-ils droit à un rôle ?
Le rideau se lève
Paris n’a jamais craint de brouiller art et vie, costume et couture. La Loge entretient cette frontière souple et accueillante. Sur chaque cintre, une histoire. Dans chaque miroir, un petit rôle qui vous attend. On entre pour un manteau, on sort avec une scène.
La Loge
17, rue Condorcet, 75009 Paris
Métro : Poissonnière (ligne 7), Anvers (ligne 2), Cadet (ligne 7)
Instagram : la.loge.store
J’aime les fringues de seconde main, surtout les pièces vives et joueuses des années 70 et 80. J’adore les vêtements et petits accessoires avec de l’humour, ceux qui imposent leur propre personnalité. J’ai plein de souvenirs de friperies, mais une dans le Marais ressort du lot. L’endroit avait l’air si peu motivé qu’on se demandait comment il payait son loyer. Les gens arrivaient avec des vêtements dans des sacs en papier ou des cartons, et la femme au comptoir vidait tout dans un grand bac sans trier, puis retournait à son magazine ou à son coup de fil. Elle portait des T-shirts rock vintage avec un vrai style, alors je suis sûr qu’elle aimait la fripe, elle aussi.
Comme elle ne calculait presque pas les clients, on y allait souvent avec des amis pour s’amuser, à essayer des chapeaux en forme de tulipe et des lunettes « libellule » jusqu’à en avoir mal au ventre de rire. Un jour, j’ai acheté de grandes lunettes carrées blanches comme pourrait en porter Michel Polnareff, un pantalon pattes d’eph et un châle en plumes tout doux pour une vingtaine d’euros, et je les ai mis pour une soirée. Ma trouvaille préférée, c’était un bonnet de bain couvert de fleurs, mais je n’ai jamais eu le cran de le porter dehors. Les couleurs et les motifs étaient si uniques que « pop » ne suffisait pas, et j’ai eu un petit pincement pour cette époque décontractée où on pouvait se balader habillé comme ça.
Peu importe combien on le lave, un vêtement vintage garde l’air du temps qu’il a traversé. J’aimerais qu’il me raconte les scènes qu’il a vues et les histoires qu’il porte. Peut-être que quelqu’un l’a mis pour une manif étudiante. Peut-être qu’il est allé à un concert d’un artiste qui n’est plus là.
Aujourd’hui en France, la fripe se fait surtout en ligne. J’imagine que les boutiques n’arrivent tout simplement pas à rentrer dans leurs frais. Malgré tout, j’ai envie d’essayer les vêtements en magasin avant de choisir, pas pour me moquer mais pour les voir vraiment.
Le vintage choisit son porteur plus que le neuf. Parfois, une pièce colle à ton goût mais refuse de t’aller, et ça a son charme. Parfois, un truc auquel tu ne t’attendais pas te va comme s’il avait été fait pour toi. On dirait que l’ancien propriétaire est là, près du miroir, en train de décider à qui il doit revenir.
C’est pour ça que j’ai été tout de suite emballé quand j’ai entendu parler de La Loge. Ce sont des vêtements qui attendaient d’être choisis sur un plateau. Les costumes passent eux aussi des auditions. Une seule apparition suffit déjà pour faire une belle anecdote. Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que ces pièces ont vécu.
On m’a dit qu’ils avaient même reçu des costumes de la série que j’aimais, « Ça c’est Paris ». Diffusée l’an dernier avec une brochette d’acteurs populaires, glamour et très parisienne. Le titre veut vraiment dire « C’est ça, Paris ». Monica Bellucci y apparaît en tant que Monica Bellucci. La série coche plein de lieux emblématiques, donc tu te sens touriste sur ton canapé, et tu vois aussi comment s’habillent les Parisiennes au quotidien. C’est un peu une version adulte d’Emily in Paris.
Normalement, les vêtements portés par des stars prennent une prime et le prix grimpe. Dans cette boutique, on les traite comme de la seconde main, donc c’est bien moins cher que le prix d’origine. Cela dit, si des costumes d’Emily in Paris arrivaient, ce serait la ruée. En France, la série n’est pas très populaire et on la juge souvent stéréotypée et trop simple, donc ces pièces seraient peut-être considérées comme de la fripe ordinaire. Mais à l’étranger, surtout aux États-Unis, c’est gros, alors la boutique pourrait devenir une étape touristique. Les fans font déjà la queue au « café » où Emily est censée boire son espresso (en réalité un restaurant) et à la boulangerie où elle achète ses croissants. Il y a toujours la file, et les photos n’en finissent pas. J’espère juste que les gens ne rafleront pas les vêtements pour les revendre aux enchères.
Si tu choisis ta tenue selon ton humeur, suspense un jour, romance le lendemain, tu pourras peut-être vivre une journée qui ressemble à l’épisode suivant d’un film ou d’une série…