Les révolutions discrètes de la mer de Seto – Setouchi Triennale

La Setouchi Triennale 2025 se déroule au printemps, en été et en automne. C’est l’un des principaux festivals internationaux d’art au Japon, lancé en 2010, organisé tous les trois ans, et chaque édition accueille environ un million de visiteurs.À Naoshima, Teshima, Shodoshima, Ogijima et sur d’autres îles, l’art contemporain se mêle à la vie quotidienne des habitants au bord de la mer.
teshima-museum

Comment la Triennale de Setouchi a transformé les îles de la mer de Seto - cinq changements durables

Changement n°1 : le retour des enfants à Ogijima

Ogijima, à une courte traversée de Takamatsu, semblait autrefois se vider. Après la première Triennale, des nouveaux venus ont commencé à arriver. En 2014, l’école primaire et le collège, fermés jusque-là, ont rouvert. La même année, une bibliothèque privée a ouvert ses portes et est devenue, en toute discrétion, un guichet où l’on venait demander comment s’installer et comment rester. La vie a retrouvé plusieurs formes. Il y a eu des gens du pays qui revenaient, des primo-arrivants, et des familles qui partagent leur semaine entre la ville et la mer.

Au débarcadère, « Ogijima’s Soul » de Jaume Plensa accueille chaque bateau. La canopée blanche du pavillon est ajourée de lettres ; la lumière y filtre, glisse sur le sol et sur l’eau. On passe dessous et la respiration se calme.

Note de voyage
Des ferries relient Takamatsu à Ogijima, souvent via Megijima, en environ quarante minutes. Les traversées sont limitées et varient selon la saison et la météo. Vérifiez les horaires les plus récents avant de partir.
https://meon.co.jp/
Port de Takamatsu vers Ogijima (environ 40 min via Megijima) | Horaire régulier sauf du 1 au 20 août
N° de service Départ Takamatsu Arrivée Ogijima Remarques
1 08:00 08:40 via Megijima, correspondance d’environ 20 minutes
2 10:00 10:40 même itinéraire
3 12:00 12:40 même itinéraire
4 14:00 14:40 même itinéraire
5 16:00 16:40 même itinéraire
6 18:10 18:50 même itinéraire
Takamatsu → Megijima dure environ 20 minutes à chaque traversée. Les horaires varient selon la saison et la météo. Veuillez consulter l’horaire officiel à jour.
https://meon.co.jp/access

Changement n°2 : le festival relie les gens

L’attrait ne tient pas qu’aux œuvres achevées. À Shōdoshima, l’artiste taïwanais Wang Wen-Chih a demandé du bambou et du temps. En une quarantaine de jours, une chambre en dôme a pris forme avec près de quatre mille tiges, tressées par l’équipe de l’artiste, des habitants et des bénévoles du Koebi Corps. Le dôme était magnifique. Mais c’est le geste de le fabriquer qui en était le cœur. La parole vient plus facilement quand les mains sont occupées. Des personnes qui ne se connaissaient pas un mois plus tôt ont appris le prénom des autres en se passant et en cintrant des longueurs de bambou.

Le Koebi Corps ne disparaît pas quand les banderoles redescendent. Si le festival revendique une centaine de jours, l’année en compte encore près d’un millier. Ces jours-là appartiennent aux réparations, aux visites, à l’entretien, et à la longue traduction du mot « art » dans les habitudes de la vie quotidienne.

Note de voyage

Tout le monde peut rejoindre le Koebi Corps, ne serait-ce que pour une journée. Offrir une journée de son séjour fait partie des spécialités de Setouchi.

Changement n°3 : Teshima transforme un fardeau en paysage d’espérance

Teshima a abrité l’une des plus grandes décharges illégales de déchets industriels du Japon. Il a fallu des années d’actions citoyennes et de nettoyage. De cette histoire est né le Teshima Art Museum, signé Rei Naitō et Ryue Nishizawa. Le bâtiment est une coque blanche ouverte au ciel et au vent. La lumière y entre en glissant. L’eau perle du sol en minuscules gouttes et chemine. S’asseoir là enseigne une chose simple. Le renouveau n’est pas toujours un ajout. C’est parfois un renouement de l’attention au lieu, pour que ce qui était là depuis toujours puisse être ressenti de nouveau.

Le passé ne s’efface pas. L’île a choisi d’avancer en le portant, et des visiteurs du monde entier viennent désormais voir à quoi cela ressemble.

Note de voyage

Des bateaux desservent Teshima depuis Takamatsu, Uno et Naoshima. L’entrée au musée se fait souvent sur réservation horaire. Gardez du temps pour flâner dans les rizières en terrasses avant ou après votre créneau.

Changement n°4 : cent jours de festival, mille jours ordinaires

La valeur ne s’arrête pas au dernier jour du calendrier. À Nakayama, sur Shōdoshima, Komame Shokudō sert des onigiri préparés avec le riz des parcelles visibles depuis la fenêtre. À Ogijima, une boulangerie ouverte par des néo-arrivants et un café près de la bibliothèque sont devenus des points d’ancrage.

Les compliments des voyageurs vont plus loin qu’on ne le croit. « C’est beau », « c’est délicieux », « bravo ». Ces mots trouvent leur chemin jusqu’aux agriculteurs et aux pêcheurs, et deviennent un courage tranquille pour poursuivre des métiers qui exigent du temps et du soin. Paysage, nourriture et moyens de subsistance commencent à se soutenir mutuellement, au lieu de rester séparés.

Note de voyage

Les matinées en semaine sont douces. Les horaires varient selon les saisons. Vérifiez les informations les plus récentes de chaque lieu avant d’embarquer.

 

Changement n°5 : les visiteurs deviennent de la famille

Aucune île n’a accueilli la Triennale d’un seul état d’esprit. La réserve était légitime au début. Qui viendrait ici, et pour quoi faire. Puis on a vu des visiteurs revenir pour des choses que les habitants considéraient comme de simples arrière-plans. Une courbe de digue au crépuscule. La manière dont une venelle se resserre puis s’ouvre.

L’attention s’est faite miroir. La fierté a grandi, non comme un slogan, mais comme une énergie au travail qui porte vers la tâche suivante. La Triennale ne se contente pas de déposer des objets. Elle aide à écrire des histoires avec ceux qui vivront avec eux une fois la saison passée.

Petites îles, architectures et œuvres qui durent

La Setouchi Triennale ne se vit pas comme un événement qui poserait des œuvres puis s’en irait. C’est une manière de cultiver, ensemble, les récits des îles.

  • Naoshima: Chichu Art Museum Un bâtiment en grande partie souterrain, qui accueille et mesure la lumière avec une attention rare. Incontournable pour comprendre le langage de l’espace dans la région. Réservations et billet séparé souvent requis.
  • Inujima: Seirensho Art Museum Une ancienne raffinerie de cuivre transformée en méditation sur l’industrie et la nature. Cheminées rouges et briques de laitier noir cadrent l’horizon et marquent le temps.
  • Shōdoshima: e dôme de bambou de Wang Wen-Chih Un geste collectif devenu architecture. Un espace tissé qui tient par la patience et l’entraide, et qui respire avec le vent.
  • Ogijima. Ogijima’s Soul Des lettres devenues toit, ombre et reflets. Le premier pas à terre devient une ouverture musicale.

Carnet de route pour voyageurs

Saisons

Le festival se déploie en trois chapitres. Les îles et les sites n’ouvrent pas tous les mêmes jours. Le calendrier officiel est indispensable.
https://setouchi-artfest.jp/en/about/

Passes

Les pass du festival donnent accès à de nombreuses œuvres. Certains lieux phares, dont le Teshima Art Museum et le Chichu, exigent une entrée horodatée séparée.
https://setouchi-artfest.jp/en/buy/passport

Se déplacer

Des ferries relient Takamatsu à Naoshima, Teshima, Megijima et Ogijima. Côté Okayama, Uno dessert Naoshima. Les horaires varient selon la saison et la météo. Sur les îles, combinez le premier bateau du matin avec un vélo de location et les bus locaux.

Éviter la foule

Prenez le premier ferry possible. Organisez les sites très prisés en fonction de vos réservations. Avancer à contre-courant de l’horloge aide.

Étiquette

Ce sont des villages habités. Demandez avant de photographier les maisons. Ramenez vos déchets. Laissez de l’espace aux champs et aux équipements de pêche. Les bénévoles et les équipes sur place sont des repères sûrs. Suivez leurs conseils.

Esquisse de deux jours depuis Takamatsu

  • Jour un Ogijima avec une halte à Megijima Passez sous le pavillon de Plensa, flânez dans les ruelles et les petites installations, et si le temps le permet poursuivez vers le phare. Au retour, faites un arrêt à Megijima avant de rentrer à Takamatsu.
  • Jour deux Teshima puis soirée à Shōdoshima Depuis Ieura, montez vers Karato-oka et organisez votre journée autour de votre réservation au musée et des terrasses. En fin d’après-midi, traversez vers Shōdoshima pour voir le dôme de bambou à la lumière qui s’adoucit.

Si le temps s’élargit, partez d’Uno et visitez Inujima. La cheminée de la raffinerie, le laitier et la ligne horizontale de la mer laissent une image rémanente.

L’art est-il magie ou un matc

La population a commencé à revenir. Des liens se sont tissés. Une histoire difficile a été retravaillée en lieu d’apprentissage. La vie hors des jours de festival paraît plus ample. Les visiteurs finissent par être perçus comme des proches étendus. Rien de tout cela n’est un remède. L’art accomplit quelque chose de plus humble. Il prête une lampe. Il emprunte des sentiers déjà là. Il transforme l’éloge venu d’ailleurs en confiance locale, qui devient du travail, qui devient avenir.

Lors de votre prochain voyage, cherchez ce qui est déjà présent. Ce qui passe inaperçu, l’ordinaire, l’à-peu-perdu. Setouchi suggère que beaucoup de trésors sont modestes et tout proches, en attente de temps et d’un peu de lumière.

Programme d’automne de la Setouchi Triennale 2025

Setouchi Triennale 2025
https://setouchi-artfest.jp/en/

3 oct. (ven) au 9 nov. (dim) — 38 jours
Zone Jours de fermeture
Naoshima En général les lundis*
Teshima, Inujima En général les mardis*
Megijima, Ogijima, Shodoshima Mer. 22 oct. ; Mer. 29 oct.
Oshima Sam. 4 oct. ; Mer. 22 oct. ; Mer. 29 oct.
Honjima, Takamishima, Awashima, Ibukijima Jeu. 23 oct. ; Jeu. 30 oct.

Annexe. Se rendre de Tokyo à Takamatsu

Mode Itinéraire Durée approx. Coût aller approx. Remarques
Vol + bus aéroport Aéroport de Haneda → Aéroport de Takamatsu (ANA/JAL env. 1 h 20) → bus aéroport jusqu’à la gare de Takamatsu (env. 40 min) → 5 min à pied jusqu’au port de Takamatsu Env. 2 h 20 + temps d’attente À partir d’env. 15 000 ¥ Le plus rapide et pratique ; facile avec des bagages.
Shinkansen + express Gare de Tokyo → Shinkansen jusqu’à Okayama (env. 3 h 30) → Marine Liner jusqu’à Takamatsu (env. 1 h) → 5 min à pied jusqu’au port Env. 4 h 40 À partir d’env. 17 000 ¥ Belles vues ; une correspondance.
Bus de nuit Tokyo (Shinjuku/Shibuya, etc.) → gare de Takamatsu (env. 9–10 h) → 5 min à pied jusqu’au port Env. 10 h Env. 7 000–12 000 ¥ Le moins cher ; départ tard le soir, arrivée le matin ; économise une nuit d’hôtel.
Voiture (conduite personnelle) Tokyo → via les autoroutes Tomei/Meishin/Sanyo et le Grand pont de Seto → Takamatsu Env. 9–10 h (env. 750 km) Péages env. 15 000 ¥ + carburant Idéal pour conducteurs ; grande flexibilité.

Ces derniers temps, j’ai changé ma manière de choisir mes destinations. Avant, je listais les lieux que je voulais voir et je visais la meilleure saison. Désormais, je pars d’une autre question : ce lieu souhaite-t-il vraiment accueillir des visiteurs en ce moment ? Si la réponse me semble négative, je regarde ailleurs.

Ce basculement a commencé à Kyoto en 2019. Je voyageais au Japon avec un ami français. Il voulait commencer par Kyoto, ce qui avait du sens pour un premier séjour. Tokyo si l’on cherche le présent le plus en vogue, Kyoto si l’on est attiré par la tradition. J’aime l’atmosphère si singulièrement japonaise que dégage cette ville.

Parce que nous avions choisi la haute saison, la foule était extrême. Autour de nous, la plupart semblaient être des visiteurs venus de l’étranger. À la gare de Kyoto, la file de taxis s’étirait sans fin. Quand nous avons enfin pu monter, j’ai remarqué que Kyoto avait vraiment la cote auprès des voyageurs. Le chauffeur a répondu d’une voix lasse : il y a trop de touristes et la vie ordinaire n’arrive plus à fonctionner. Les trains, les bus et les taxis débordent de valises. Même lorsque vous montez, vous restez coincés dans les embouteillages. Il disait que certains visiteurs entraient dans des maisons privées pour prendre des photos, et que d’autres cueillaient même les fleurs des petits jardins.

La scène qui nous a le plus choqués fut un groupe de touristes courant après une *Maiko, qui refusait poliment tandis qu’ils tentaient de la filmer. Certains ont même touché son kimono sans permission. Elle essayait de s’échapper en trottinant et la situation s’est muée en une sorte de jeu. Les passants se sont mis à suivre, smartphone et appareils levés. Des inconnus lui parlaient dans des langues qu’elle ne comprenait peut-être pas et riaient. Je n’ai cessé de penser à la peur qu’elle devait ressentir. Chaque fois que nous voyions ce genre de scène, l’excitation d’être à Kyoto se dissipait un peu plus.

Voilà à quoi ressemble le surtourisme. Une ville peut-elle continuer d’accueillir sans perdre la trame de sa vie quotidienne ? Sinon, comment la retrouver ? Je comprends cette perplexité. À Paris, je la vis chaque jour. Le pays tente de nouvelles mesures pour l’une des plus grandes villes touristiques au monde, mais les habitants finissent malgré tout par céder des morceaux de leurs journées.

Je marche au travail et me retrouve en arrière-plan de centaines de selfies. Si quelqu’un me lance un regard noir, je n’y peux rien. Si je sors d’un cadre, j’entre dans un autre. Parfois, je me demande combien de photos d’inconnus, partout dans le monde, m’incluent à mon insu, et l’idée me déstabilise. Quand un couple s’arrête en plein milieu de la rue pour des photos de mariage, la circulation se bloque à nouveau. C’est leur jour unique, et même les klaxons semblent les émouvoir. Il y a d’autres choses : le bruit la nuit, la file d’attente partout, pour tout, quel que soit l’endroit où l’on veut manger. Je voyage moi aussi. Je ne veux pas nourrir de ressentiment envers les visiteurs. Pourtant, les petites tensions s’accumulent.

Existe-t-il une réponse ? Pendant les Jeux olympiques de Paris, la ville a mis en place des zones réservées aux résidents munis d’un justificatif. Faut-il recommencer ? Faire payer les autres ? Cela a fonctionné parce que l’on connaissait la date de fin. Les règles s’acceptent plus facilement lorsqu’elles sont temporaires.

D’une étrange manière, nous avons eu de la chance en 2019. L’année suivante, la pandémie a commencé. Les journaux télévisés montraient Kyoto sans personne dans les rues. C’était inconvenant de le penser, mais je me suis surpris à avoir envie d’y aller à ce moment-là. Aujourd’hui que le monde s’est rouvert, on dit que la fréquentation n’a jamais été aussi élevée. Ce qui pèse à Kyoto ou à Paris est devenu un problème partagé par bien des destinations.

Alors, où aller ? Je suis attiré par des lieux comme la mer intérieure de Seto, où l’on a l’impression d’être vraiment bienvenu. Beaucoup viennent pour l’art, et les villes ont appris à accueillir sans perdre leur rythme propre. Le bruit ne gonfle pas démesurément. Voyageurs et habitants partagent le même paysage avec douceur. J’espère que cet équilibre tiendra.

Les endroits où les hôtes se sentent à l’aise le lendemain de la visite et où les invités se sentent réellement accueillis semblent se raréfier. C’est précisément pour cela qu’ils comptent davantage. Nous devrions en prendre soin. Nous devrions avancer un peu plus lentement. Nous devrions repartir avec le sentiment que le monde peut être bienveillant, si on le lui permet.

*Les maiko sont des apprenties des arts traditionnels de Kyoto, et les geisha, dites geiko à Kyoto, sont des professionnelles accomplies. Elles dansent, jouent du shamisen, accueillent avec élégance et préservent l’étiquette. On les confond parfois avec des prostituées. C’est faux. Ce sont des artistes respectées.

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Paroles de Parisrobot

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